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    Cette vaine machine.

    « Tout roule ici dans une loi implacable de machine. Et les trains incessants alimentent les foyers. La vie brûle tout le temps dans le corps des habitants de la ville, non plus pour la joie de la flamme mais pour l’utilisation de la flamme. La vie de chacun doit produire, la vie de chacun n’a plus son propriétaire régulier, mais appartient à quelqu’un d’autre, qui appartient à la ville. Une chaîne sans fin d’esclavage où ce qui se produit se détruit sans créer ni joie ni liberté. Alors, à quoi bon ? Mais je suis seul à parler dans la rue et personne ne m’entend. Personne ne peut m’entendre car les hommes et les femmes qui habitent cette ville sont devenus le corps même de cette ville et ils n’ont plus de corps animal et divin. Ils sont devenus les boulons, les rivets, les tôles, les bielles, les rouages, les coussinets, les volants, les courroies, les freins, les axes, les pistons, les cylindres de cette vaine machine qui tourne à vide sous Sirius, Aldébaran, Bételgueuse et Cassiopée. »

    Jean Giono : Les vraies richesses, 1937

  • POÉSIE

    The Summer Day

    Qui fit le monde ?

    Qui fit le cygne et l’ours noir ?

    Qui fit la sauterelle ?

    Je veux dire, cette sauterelle_

    Celle qui a bondi hors de l’herbe,

    Celle qui mange du sucre au creux de ma main,

    Qui bouge ses mandibules de gauche à droite,

    plutôt que de haut en bas_

    Qui regarde autour d’elle avec ses énormes yeux compliqués.

    Maintenant, elle lève ses pâles avant-bras et se nettoie soigneusement la tête.

    Maintenant, elle déploie ses ailes et s’envole au loin.

    Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.

    Je sais comment centrer mon attention, comment tomber dans l’herbe, comment m’agenouiller dans l’herbe, comment flâner et être comblée, comment errer à travers les champs,

    ce que j’ai fait tout au long de la journée.

    Dis-moi ce que j’aurai dû faire d’autre ?

    Est-ce que tout ne finit pas par mourir, trop rapidement ?

    Dis-moi ce que tu entends faire de ton unique, sauvage, et précieuse vie.

    MARY OLIVER

    ‘The Summer Day’ ; House of light ; 1990

    Photo : www.jessicabuczek.com